Accueillir des stagiaires aveugles ou malvoyants, c’est possible

​​« Faciliter à tous la connaissance du monde marin et de la navigation à voile » constitue l’un des buts que se sont fixés Les Glénans depuis leur création en 1947. C’est donc en se référant à ses statuts (voir art. 2) que depuis de nombreuses années, notre association accueille et forme de façon ponctuelle des personnes en situation de handicap : à la voile légère à partir de nos bases terrestres, et à la croisière sur les bateaux habitables. 

Après s’être mobilisés pour ouvrir des stages aux personnes à mobilité réduite et aux déficients mentaux, les Glénans poursuivent leur engagement en créant des stages à destination des personnes aveugles. La voile est l’une des activités de plein air parmi les plus accessibles aux personnes aveugles et malvoyantes. La base de Marseillan se mobilise actuellement sur le sujet via une formation des déficients visuels en liaison avec l’UNADEV, une association pour la promotion et l’autonomie des aveugles et mal-voyants. 

Olivier qui barre sous spi

Du gagnant-gagnant-gagnant

L’intégration de personnes aveugles et malvoyantes dans les stages et sur les bateaux de croisière constitue un apport positif pour les trois partenaires :

  • Les intéressés eux-mêmes font l’apprentissage de la vie collective tout en pratiquant une activité de plein air. Ils développent leur autonomie. Tout au long de leur stage ou de leur croisière, ils savent qu’ils font l’objet de l’attention constante de leur moniteur et des autres stagiaires ou coéquipiers.  S’agissant de la croisière, sur le pont, en manœuvre ou au repos, de nuit comme de jour, ils prennent une précaution supplémentaire permanente : être relié constamment à la « ligne de vie » ou à un hauban par un bout de sécurité fixé à sa brassière.
  • Les stagiaires et coéquipiers apprennent à vivre avec des personnes qui pratiquent la même activité mais qui sont différentes. De même, pour développer les sensations internes au même niveau que la perception visuelle, le moniteur pourra demander à tous les membres du stage de prendre la barre sur plusieurs bords, un bandeau sur les yeux. En mettant simultanément en jeu les sensations internes et la perception visuelle, le moniteur contribue ainsi à développer le sens marin de tous ses stagiaires.
  • Le moniteur peut être amené à changer partiellement son mode d’enseignement de la voile ou de la croisière. Ainsi, le stagiaire aveugle ou malvoyant a besoin d’un temps de présentation du bateau adapté à son handicap et les autres stagiaires peuvent aussi profiter des explications adaptées et plus détaillées. Faire le tour du bateau “manuellement” peut également leur apporter un plus en cas de navigation de nuit ou de dessalage. 

Comment encadrer ?

Tu veux encadrer ce type de stages ? Une formation est organisée du 8 au 12 mars à Marseillan. Ensuite, divers stages avec les déficients visuels sont prévus en 2023. Si cela t’intéresse d’encadrer un stage de ce type, tu peux contacter le ceb par mail : ceb@glenans.asso.fr.

Sur les stages, il y a à chaque fois un moniteur Glénans, et un accompagnateur, voyants tous les deux. L’Unadev envoie des accompagnateurs. Il est aussi possible de prendre un deuxième moniteur pour accompagner, ce qui lui permet de se familiariser avec les spécificités.

Les responsables du développement des aides électroniques spécifiques sont très susceptibles d’accompagner également. Ils naviguent très bien, et l’expérience leur permet d’améliorer les outils qu’ils ont créés. 

Pour celles et ceux que ça intéresse, vous pouvez lire cet article de Jean-Marc Pilpoul, ancien président des Glénans lui-même aveugle, qui apporte des pistes sur comment encadrer des personnes déficientes visuelles. 

Témoignage d’Olivier Gutt : un stage en mer avec l’UNADEV

Lorsque Thierry a parlé de son projet de naviguer avec des déficients visuels, je me suis immédiatement porté candidat. Voilà pourquoi je me suis retrouvé, en ce premier jour ensoleillé de septembre, à bord d’un des deux Dufour 325 amarrés au canal du Midi à Sète. Je fais l’inventaire, vérifie le bateau, je nettoie et range, je suis un peu nerveux face à la nouveauté. Comment mes stagiaires vont-ils agir, que pourrai-je leur demander de faire, serai-je à la hauteur ?

Thierry arrive, suivi de Céline, l’organisatrice pour l’UNADEV (association des déficients visuels),  et de François et Ludovic, mes deux premiers stagiaires. Ils découvrent l’accès au bateau, les filières, le pont, le passage vers le cockpit, l’intérieur. Je les laisse faire à leur rythme, en leur exposant avant qu’ils se déplacent, ce qu’ils vont rencontrer, ressentir. Une fois à l’intérieur, ils découvrent le carré, la cuisine, leur couchette. Tout se passe dans le calme, ils prennent connaissance de leur espace. Ils trouvent que le bateau est grand. Je les laisse s’approprier l’espace, en veillant à ce qu’ils ne se fassent pas mal, mais je suis plus inquiet qu’eux. Ils se déplacent naturellement, prudemment mais avec sûreté.

Le lendemain, on se lève tôt, il faut préparer le bateau, avitailler, ranger logiquement les diverses fournitures, passer les ponts entre l’étang de Thau et la mer à 9.30.

Nous nous amarrons au quai d’Alger. Je suis seul avec François. Il a déjà navigué, est à l’aise dans ses déplacements. Il est sur le pont avec l’amarre avant, les pare bat’ sont attachés, le bateau entre juste entre les deux grosses boules noires qui servent de pare bat’ aux navires.

Les autres arrivent à pied de la gare. Je reçois Marine, l’ingénieure qui a développé le système SARA, Isabelle (qui a navigué lorsqu’elle voyait), Marie-Pierre, qui est novice, et Olivier, qui est un excellent marin et est à l’origine du système SARA. Thierry reçoit sur son bateau Jerôme, accompagnant spécialisé, et Julie et Soledad. Cette dernière a aussi déjà navigué.

Nous passons la matinée à la découverte des bateaux, chacun s’installe rapidement, et nous faisons tous connaissance, entassés dans le cockpit. Heureusement, il fait très beau. Thierry leur fait découvrir les cartes en 3 dimensions dont il a obtenu la réalisation. C’est, pour nos stagiaires, une véritable découverte. Ils appréhendent la structure du port de Sète et la forme du golfe. Nous les aidons à découvrir où se situent les différents ports dont nous parlons, et les routes que nous envisageons de prendre.

Découverte des cartes 3D

Premier départ, premières sensations

Nous quittons Sète. Marine et moi leur avons montré les écoutes de génois, les winches, les drisses, et tout est bien rangé en place. Nous sortons du port, Marine barre, Olivier et François sont prêts, l’un sur le pont, l’autre au piano. La grand’voile monte, les coulisseaux grippent, les bosses de ris résistent, chacun y met du sien, nous prenons le cap au près/bon plein en direction de Port Camargue. Le génois est déroulé, chacun a participé, le vent disparaît. On est évidemment déçus. Nos stagiaires examinent leurs sensations : la mer – il y a des creux de l’ordre de 25 cm, le vent est celui de notre vitesse au moteur. Bon, un peu de patience, le vent revient, nos ambitions sont revues à la baisse et nous déroulons le génois, les stagiaires sentent le vent, la légère gîte du bateau, ils tentent le contact avec la barre. Je ressens une vraie avidité d’apprendre, de ressentir, le plaisir d’être sur l’eau, d’entendre l’eau couler le long de la coque, les voiles frissonner, d’être ensemble, nous qui ne nous connaissons pas encore, en ce moment de partage.

Les stagiaires sentent le vent, écoutent les différents sons, produits par les voiles, la coque, sentent les réactions du bateau à la barre, la gîte, qui sont autant de repères pour le barreur.

Arrivés à Frontignan, nous attachons le bateau de Thierry de telle sorte que les deux tableaux arrière se touchent, ce qui permet un passage fluide de l’un à l’autre.

Deuxième jour, place à la technologie

Pour profiter du vent matinal, nous nous dirigeons au près bon plein vers l’Est. Pour aider le barreur, Marine et Olivier installent le système SARA, qui peut être paramétré de différentes manières. Ici, l’appareil avertit le barreur lorsque sa route dévie d’un angle donné (ex. 10°) pendant un certain temps (ex. 10 sec.). Tant que SARA ne dit rien, c’est qu’on est sur le bon cap.

Ensuite, Marine fait essayer une ceinture qui, couplée à un anémomètre, indique par une vibration d’où vient le vent. La vibration est ressentie à l’avant du corps lorsque le bateau est vent debout, à gauche lorsqu’il est bâbord amures, etc.

Ces appareils ne remplacent pas les sensations du barreur (ou du régleur de voiles). Tant qu’il sent bien le vent, chaque stagiaire est devenu rapidement capable de suivre un cap. Cependant, lorsqu’il commet une erreur et « perd » son vent, SARA est très utile car indique la déviation.

Nos stagiaires doivent maintenant intégrer l’énergie cinétique du bateau. En effet, ceux qui ont navigué l’ont surtout fait en voile légère. Ici, ils intègrent progressivement qu’ils doivent arrêter l’action sur la barre avant d’avoir atteint le cap souhaité. Nous faisons divers exercices, en essayant de faire tourner le bateau de quelques degrés seulement à chaque opération.

La concentration est intense. Je constate vite qu’il faut remplacer le barreur suffisamment rapidement pour que la fatigue ne lui fasse pas perdre ses repères, donc ses moyens, mais suffisamment tard pour qu’il ait intégré ces nouvelles techniques.

Les jours suivants filent : spi, manœuvres de ports, sensation au moteur… Les stagiaires prennent confiance et gagnent en autonomie. J’ai hâte de renouveler cette expérience, et j’espère, dès que j’aurai acquis toutes les connaissances, pouvoir emmener un moniteur volontaire avec moi, pour lui transmettre mon expérience, et espérer développer une équipe dédiée à ces stages.

Olivier Gutt

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