État d’esprit à quelques jours du départ d’une première transat en tant que skippeuse

Extrait du livre de bord. Mindelo – 28 décembre – J-4 avant la transatlantique aller.


On pourrait imaginer, dans le cas d’une femme de 21 ans qui rêve de faire une transat en tant que skippeuse depuis ses 10 ans, que le sentiment prédominant à quelques jours du départ serait excitation et impatience. Et pourtant, aujourd’hui, sur les pontons de Mindelo, en regardant mon petit First 30E, plusieurs sentiments et réflexions contraires se bousculent dans ma tête.

Maud en tête de mât de Loustic


Le premier et certainement le plus incertain : vais-je apprécier cette transat ? Elle fait
partie de ces expériences auxquelles on ne peut se préparer que partiellement ; ce qui se passera au milieu de l’Atlantique reste encore un secret… Et si je n’aimais pas me réveiller pendant plus de 20 jours toutes les nuits ? Et si je n’aimais pas me faire chahuter au portant durant tout ce temps ? Et si la navigation me semblait monotone ? Tous les récits de transats sont si dithyrambiques, il est un peu tabou dans le milieu de la navigation au long cours d’oser discuter cette pensée : « Et si la transat, ce n’était pas pour moi ? ». La seule réponse à cette question est sûrement : « On verra bien ! ».

Fin du quart de nuit sur Loustic

La seconde réflexion, plus terre à terre : « Ça va être long, j’espère que je vais réussir à
gérer sommeil, alimentation, quarts de nuit, météo, prises de décisions durant un moment aussi long ». Ce qui est surtout difficile dans cette seconde réflexion, c’est l’incertitude immense qui réside dans la durée de navigation. Depuis le Cap Vert, il y a environ 2000 milles nautiques jusqu’à la Barbade, généralement effectués en route directe dans les Alizés, soit 14 jours à 6 nœuds de moyenne, 17 jours à 5 nœuds, ou encore 21 jours à 4 nœuds.

Je fais partie de ces navigatrices qui pour se préparer psychologiquement à une longue navigation, se donnent une durée de traversée estimée à la hausse de manière à ne jamais s’impatienter avant l’arrivée. Soit on arrive plus tôt et je suis fière de mon optimisation de navigation, soit on arrive dans les temps et je m’y étais préparée. Problème : dans le cas présent, je ne sais quoi prendre comme fourchette haute du temps de navigation, ce qui rend la configuration difficile…

Une nouvelle idée vient même de me traverser l’esprit, et si je la trouvais trop courte, moi qui l’avais attendue si longtemps ma traversée de l’Atlantique ? Et si l’on arrivait avant même que j’aie eu le temps de me mettre dans cet état d’esprit d’autonomie de bout du monde ? Bref, cette immense incertitude de plus ou moins un tiers du temps de trajet m’est difficile.

Le plein de vivres frais avant le départ

Enfin, la troisième réflexion qui me taraude est une réflexion plus usuelle : « Mon bateau est-il prêt ? » Cette question, tout bon marin se la pose avant de partir longtemps en mer. À raison d’ailleurs car on dit souvent qu’une navigation hauturière c’est 2/3 de préparation pour 1/3 de navigation et ce ratio, nous l’avons plus que respecté. Notre bateau nous en a d’ailleurs fait la démonstration depuis la Bretagne. Nous avons effectué plus de 3 000 milles nautiques sans soucis majeur qui nous ont permis de prendre confiance tant dans l’équipage que dans le bateau. Sur ce point-là, je pense donc que si la réponse à la question « Ai-je correctement préparé mon bateau ? » est positive, alors il faut être confiante et rationaliser.

De l’eau, de l’eau, de l’eau

Vous l’aurez donc compris, au départ d’une première transat en tant que skippeuse, les enjeux sont importants et les doutes tout autant.

Ce que je conclus à l’issue d’une boucle Atlantique réussie, qui s’est achevée il y a quelques semaines par la vente de notre bateau, c’est certainement le conseil que j’ai donné aux deux filles de 22 ans qui nous l’ont racheté : « Si tu as vraiment correctement préparé ton bateau, il faut savoir te faire confiance ». Nous avons tous cette petite araignée (pensée insidieuse) qui une fois en mer nous tisse les pires scénarios, analyse chaque bruit comme le début d’un démâtage et transforme nos rêves en peurs obsessionnelles. Pour bien vivre une longue navigation hauturière, il faut savoir éteindre cette partie du cerveau une fois les amarres larguées. Si quelque chose doit arriver, cela arrivera. J’ai correctement préparé mon bateau et mes protocoles de sécurité, maintenant, profitons de l’horizon. Sinon, rien ne sert de partir.

La différence entre l’Homme en mer et celui qui attend au port n’est pas son degré de préparation mais ce tout petit grain de folie, cette capacité à éteindre ses peurs qui lui permettent de larguer les amarres, confiant et de ne pas se retourner.

On peut penser et équiper parfaitement un bateau pour une transatlantique mais jamais on ne pourra parfaitement se préparer aux hasards de la mer et aux caprices de la météo. C’est d’ailleurs certainement pour cela que l’on part…

Maud Chevalier, skippeuse de Loustic avec Noémie et monitrice de dériveur et catamaran aux Glénans

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